Friday 30 May 2014

Le goût des autres



Mon dernier post portait sur le manque de célébration du 1er Mai et des droits des travailleurs. Ca n'avait pas beaucoup de sens de le traduire en Français, vu qu'en France ces droits sont célébrés. Malheureusement, nous souffrons d'autres maux.

Au milieu du tumulte médiatique, entre les résultats du FN, les scandales politico-financiers de l'UMP et les zooms sur les antillais djihadistes, j'essaye de garder mon calme, et me demande comment l'individu lambda digère tout ça.

Les médias comme la liberté d'expression sont primordiaux alors je tenterai de ne pas en conclure que « c'est tout la faute à notre culture médiatique du sensationnel ». Je ne peux cependant m'empêcher de me demander comment, au lendemain de résultats électoraux tels, on peut encore entendre qui que ce soit dire: « Il ne faut pas trop médiatiser l'histoire du djihadisme antillais, pour éviter de contribuer à la hausse de l'extrémisme...islamiste ». A croire qu'en France, la présence marginale d'extrémistes islamistes est perçue comme plus menaçante que la victoire électorale d'un parti fasciste. Comme quoi, la montée de l'extrême droite en France, c'est comme le problème environnemental dans le monde : son ampleur se mesure à l'incapacité que nous avons d'y faire réellement face.

Je ne suis pas alarmiste et j'ai conscience que les élections européennes sont très particulières. Le taux d'abstention n'y reflète pas seulement le désengagement politique général, mais aussi la conscience que cette Europe n'est pas démocratique. Moi je voudrais que ce soit les commissionnaires qui soient élus. Je ne pense pas non plus que les résultats électoraux reflètent un réel sentiment anti-européen. Il est probable que les valeurs européennes ne soient pas aussi ancrées que les valeurs républicaines. Il est tout aussi probable que l'on ne critique pas l'Europe par Euro-scepticisme, mais seulement par lassitude, comme l'on critique le gouvernement ou l'Etat, ou tout simplement par esprit critique.

Je ne suis pas alarmiste, mais je n'exclue pas une prise de pouvoir par le FN non plus. Parce que l'exclure serait nier l'évidente montée des extrêmes et de la xénophobie. Parce que le nier serait s'empêcher de réagir. Une telle montée serait sûrement dramatique pour nous, Français 2.0 pluri-culturels. Mais elle le serait aussi pour nous, Français un point c'est tout.

C'est sûrement sur ce thème que les médias n'insistent pas assez. Pourquoi on ne nous passe pas à longueur de journée des images d'archive du Le Pen des années 1980, avec ses milices à têtes rasées  (@33:50)? Parce qu'une victoire du FN vend mieux qu'une victoire des autres ?

Il faut s'imaginer cette France gouvernée par le FN pour être prêts. Prêts à faire les bons choix, dans les urnes comme dans la rue. Marine prend le pouvoir, elle est entourée d'incapables, et se tourne vers les partis classiques pour l'aider à constituer un gouvernement. Nous aurons alors les contre et les pour, qui penseront qu'il vaut mieux être dirigés à moitié par des politiciens classiques que complètement par des fous incompétents. Vous, vous en penserez quoi ?

Ce sont des questions que dans mon autre pays nous avons du nous poser il y a longtemps. Et si là-bas, les dés des récentes élections présidentielles étaient joués dès les déclarations de candidature, je dois avouer qu'aujourd'hui les ondes civiques m'ont l'air plus radiantes dans ce pays non-démocratique non-révolutionnaire que de ce côté-ci de la Méditerranée. Là-bas, on ne se fourvoie pas sur la réalité de la situation, et faute de voter, on chante, on dénonce, on débat. Ici, on est apathique: on vote ou pas, on gobe les analyses hébétantes du poste télé, on réagit un peu sur les réseaux sociaux (comme on l'a fait pour la nouvelle coupe de La Roux la semaine dernière) et on continue notre petite vie de citoyen en république démocratique, peut être bientôt fasciste, mais comme c'est pas encore, rien ne presse.

Le modèle de démocratie classique connait une crise grave, apparemment liée au fait que l'ancien modèle d'expertise et d'autorité verticale sur lequel notre démocratie se fonde est complètement dépassé, à l'heure de l'accès au savoir universel et de la communication globale instantanée. L'éducation connait le même problème. Certes.

Je n'ai évidemment pas la solution au problème et je ne prétends pas être moins apathique. Je suis juste partie. Quand on disait encore « la France, on l'aime où on la quitte », j'ai répondu « la France, je l'aime donc je la quitte. Ca fait trop mal de la voir dans cet état ». Il me semble juste que d'être un peu alarmiste avant l'heure et d'envisager une réelle prise de pouvoir par le FN permettrait peut être d'être moins apathiques. Qu'on ne veuille plus voter UMP ou PS est compréhensible. Mais l'action politique ne se limite pas à ces choix là. Il reste l'engagement local, ou encore les autres partis. Puisque la connectivité générale nous offre des moyens sans précédent de nous informer et d'agir, faisons-le. Tant qu'à être gouvernés par des novices politiques incompétents, autant qu'ils aient des idéaux autres que fascistes. Non ?

Wednesday 21 May 2014

My own boss




I promised myself I would post every other Wednesday. I am obviously late. I apologise to those who still bother reading me. There is one other thing you should know about me: I am always late. Always. In France, I was on the edge of acceptability. In England, I was being French. In Germany, I am straight rude.

So there. I am always late, and I am no writer. That's expectations dealt with. I was starting to feel pressured from the many positive comments on my first post, for which I am very thankful. Now, please give way to mediocrity.

Not that long ago, we celebrated Labour Day. Out of all bank holidays, it is my favourite. Sod Christmas. And I do ask myself why it does not have more fans. It should, after all, be one of the favourite celebrations of anyone employed, should it not? Perhaps its popularity is not higher because of the efforts which seem to be put everywhere to distract us from the very meaning of this day.

I here take a moment to remind myself of it: the celebration of the struggle of Chicago workers for an eight hours working day. Eight hours for work, eight hours for rest, and eight hours for life, they said.

In France, Labour Day coincides with the welcoming of Spring. We demonstrate with Lilly of the Valley, hand in hand. Upon arriving to England, I thought there was no Labour Day. This fitted my French beliefs, that the English eat jelly for breakfast and have no public services. I was far more shocked when, upon visiting a doctor for the first time in the UK, he did not charge me, unlike in France. So much for French socialism and English capitalism. 

I later understood that Labour Day had been displaced to the first Monday of May. It was called May Day. I cannot argue against the convenience of such an arrangement. Workers automatically know they will have a long week end at the beginning of May, unlike in France. 

The flip side is that not many workers know that May Day celebrates their struggles and rights. How convenient too. In fact, word on the street is that in the UK, May Day may be scraped altogether and replaced by a celebration of the Trafalgar victory. No space for workers' rights in today's Britain. Antagonism against France, and more generally Europe, sells more, and costs nothing.

Now I am in lefty Berlin. Here everyone else is perceived as a big capitalist threat, even transient tired tourists. They make prices go up, walk on bike lanes and kill hot Berlin club nights with their long faces and high heals, apparently. So I was looking forward to my big Berliner demo on Labour Day, secretly hoping to feel the spirits of Rosa Luxemburg and her gang. I followed my Berliner Fellows, who took me to what looked like Notting Hill on Carnival Day. I must admit I was disappointed . “The demo is somewhere else. It's finished now”. So much for not checking myself. Never mind, I'll go next year, and Kurdish folk dancing is fun too. And a bit political. A bit.

Among the blurring sound systems and the cheap beer, I tried to remember: eight hours for work, eight hours for rest, and eight hours for life. 

That was their motto, back in the 19th century. It could still, sadly, be ours. Who amongst my friends works an average of eight hours a day, in reality? I mean, counting the emails they constantly answer to, and the work they take home during evenings, mornings and week ends?

In a recent article, the Guardian mocked the French for introducing the idea that the use of professional smart phones and emails outside of work hours should be regulated. Not that ridiculous if you ask me, though most workers would willingly opt out anyway. We are told that our jobs are fulfilling and important, and that we are lucky to have them. Yet we resemble fancy factory workers sitting at desks, churning file after file. 

One thing sure distinguishes us from factory workers: our lack of political consciousness. Who amongst us joined a union? Instead, we turn up at work on week ends to try to finish the mountains of work we are given, we drag ourselves to the office when we are ill unless we literally cannot make it there and we apologise for not working remotely on our wedding day. Bosses can lean back, even play it well and beg us to go home when we are on the brink of collapse. They know we won't anyway.

After all, maybe we deserve the scrapping of Labour Day. It should not be replaced by Trafalgar Day though. Given how much we have interiorised the exploitation of our work force, we should have an Alienation Week, during which we would all work double, sleep in the office and desperately try to end our to do lists, whilst our bosses send us pictures of their week off. Hear hear!

Sunday 4 May 2014

An ode to exile and uprooting


English version


Ode à l'exile et au déracinement


Je suis née du déracinement. Au plus profond de ma mémoire familiale, on ne vit pas là où l'on naît. Malgré tous les efforts de réintégration de mes parents, arrachés de leurs berceaux natales pour leur terre ancestrale, cette terre, nous aussi nous l'avons quittée.

L'exile est pour moi un état normal, essentiel. Dès que je m'intègre, j'ai besoin de partir. Une fois décodées, les sociétés sont désespérément ennuyantes de prévisibilité. Et partout, la politique est telle que mieux vaut n'y rien comprendre. L'ignorance repose.

Pourtant, je rêve de repas de famille en fin de semaine. Parfois, je m'imagine le sentiment d'ancrage de ceux qui construisent là où ils sont nés. Je sais que ce sentiment, je ne le connaîtrai jamais.

Tant pis, je connais d'autres choses. La multiplicité culturelle et identitaire, que trop de gens aujourd'hui peinent à concevoir. J'apprends qu'en Allemagne, pas de double nationalité possible pour ceux qui sont Allemands par droit du sol. Une seule patrie, dit la Nation. Je me scandalise. Quelle étroitesse, à l'âge de la mondialisation! Je me demande combien de ses brillants enfants ce pays perd, par définition identitaire vétuste. J'en connais déjà trois. Tant pis.

Ma terre natale est celle de ma famille, de ma tribu donnée. Je leur dois l'amour et l'éducation. Aujourd'hui, nous communiquons peu. Nous nous sommes trop éloignés. Un sujet parfois douloureux bien qu'accepté, et toujours changeant. La vie flanque des fenêtres ouvertes lorsque toutes les portes se ferment. A souples jambes salut.

La société qui m'a vu naître est complexe, de nation neuve et mythes identitaires en phase de construction. Tout y est sujet à controverse. Quand ailleurs on se convainc de la véracité des mythes nationaux, je ris. Les Gaulois, le Moyen Age, et soudain, telle Venus sortie de l'eau, inexplicable : la Renaissance. Aucun lien dans la mémoire collective avec les échanges orientaux. La force du mythe identitaire.

Pour moi, une partie de mon identité est arabe et musulmane. Je la chéris particulièrement parce qu'en ce moment, c'est pas marrant pour elle. Elle a besoin de tout notre support, nous les double-faces. En cela, elle est plus intéressante, surtout en tant que femme.

Plus exténuante, aussi. Chaque acte social est une remise en question, souvent. Des questions pourtant banales pour ces sociétés, dont les réponses réelles prennent vite des allures de manifestes. Alors on arrondit les angles. Pas par honte : «Je ne veux pas expliquer ma vie et justifier de mes actes au chauffeur de taxi simplement parce que nous parlons la même langue», me dit récemment une amie. Personne ne nous le demande réellement, et ce n'est pas la faute du chauffeur de taxi. Lui, il est, simplement. Alors comment trouver les réponses justes à ces questions, lancées au hasard des rencontres par des inconnus aux aires d'oncles nourriciers. Sans colère, sans fuite, ni provocation. Des réponses courtoises, douces même, mais responsables et ancrées. Des réponses bien dans leurs pompes, quoi. Nos mères ont eu le courage de l'acte, nous devons avoir l'intelligence de la parole. « Etes-vous mariée? » si vous êtes seule, « Est-il Musulman? » si vous êtes accompagnée. Que dire sans froisser ni se plier?

« Que Dieu vous donne un mari ». Cette phrase, si bénigne pour ceux qui la prononce. Pour moi, des années d'horreur, des heures de remise en question à chaque fois qu'elle tombe, des décisions de rupture avec cette société tout à coup si étriquée, des moments infinis d'humiliation publique. Jusqu'à trouver la bonne réponse : « Ma soeur, prie plutôt pour que Dieu me donne un crédit immobilier. Trouver un mari, c'est plus simple, je m'en occupe toute seule ».

Evidemment, cette phrase affreuse a sa jumelle chez mes autres miens, ceux de la société qui m'a vu grandir et m'a permis de trouver ma tribu choisie. Mes amis ont été un pont entre deux mondes qu'on m'avait décris comme opposés. Ils m'ont montré une Francité à laquelle je pouvais m'identifier. Ils m'ont aussi dit que beaucoup des réalités auxquelles je me confrontais n'avais rien de particulier au pays dont je venais, et qu'elles étaient identiques en Biélorussie, en Argentine ou au Sri Lanka. Je fais appelle à leur souvenir quand on me contrôle à l'aéroport, ou qu'on me demande encore de quelle origine je suis, tel un vulgaire pot de yaourt. « Du Sud....Non...Du Languedoc ».

Souvent, la question découle d'une curiosité bien-intentionnée, pourtant non-excusable. Cette question reste insupportable, car réductrice et pleine de présupposés à relents néo-coloniaux, eux aussi souvent non-intentionnels. Comme tous les relents.

La question des identités est bien plus complexe que celle de la nationalité et de l'origine, contrairement à ce que les mythes identitaires nous poussent à croire. Nous somme tous un produit de mouvements et d'échanges humains. Des lieux tels qu'Istanbul en sont la preuve. Je n'ai pas évoqué mon identité ottomane. Elle m'a expliqué pourquoi les plats de ma grand-mère existent aussi en Serbie, où l'on regardent les mêmes sitcoms turcs et l'on utilise parfois les mêmes mots. La globalisation n'est pas une donnée nouvelle. C'était moins immédiat avant, voilà tout. Pensée à Michel Serres.

Dans un monde où la crise identitaire nous pousse vers les extrêmes, il serait bon qu'au lieu de tenter de définir, on laisse proliférer à leurs guises ces racines dont la beauté émane de l'entrelacement.


An ode to exile and uprooting


I emerged from uprooting. From the depths of my family memory, we do not build where we were born. My parents were torn away from their crib lands towards their ancestors land, and despite their endless efforts to reintegrate, we too left that land.

Exile is to me a normal state of mind. As soon as I fit in, I need to leave. Once deciphered, most societies are hopelessly predictable. And everywhere, politics are such that one is better off not understanding. Ignorance helps sometimes.

Yet, I dream of family lunches on sundays. Sometimes, I try to imagine the anchor feeling of those who build where they were born. I know that feeling will never be mine.

Whatever. I have other things. A multiple cultural identity, a concept with which too many people struggle nowadays. I am told that in Germany, the non-German-blood citizens are not allowed to hold any other citizenship. One homeland, says the Nation. I am disgusted. Inappropriate narrow-mindedness in a globalised world. I wonder how many of its brilliant children Germany has lost to its bigot definition of identity. I myself know of three. Whatever.

My native land is that of my family, my given tribe. I owe them the love and education received. Nowadays, we do not speak much. We are too far apart. A fact difficult to accept, although now accepted, and surprisingly ever-changing. Life seems to blow windows open when all doors are locked. Good things come to those who jump.

This society in which I was born is complex, that of a yet-to-be defined brand new nation. There, everything is controversial. When elsewhere I hear of national identity myths as unshakable truths, I laugh. The Celts and Gaulish, the Middle Ages and then, like Venus coming out of the waters, unexplainable : the Renaissance. No link, of course, with Eastern trade routes. How powerful can myths be!

To me, part of that identity is Arab and Muslim and it is going through a tough time. I therefore cherish it particularly. It needs all our support, us, the double-faced. Its weakness is its charm, the thing that makes it more interesting, especially as a woman.

More exhausting, also. Every single social act can be a defining step. Trivial questions lead to inner manifestos. Yet the answer given is too often an uncontroversial travesty. Not out of shame. “I do not want to explain every single lifestyle choice I made to the cab driver simply because we speak the same language”, said to me a friend recently. No one really asks us to, and the cab driver is innocent. He just is who he is. It is for us to find the right answers to these questions, thrown at us randomly by instinctively patronising strangers. Answers free of anger, avoidance or provocation. Answers that would be courteous and smooth, but responsible and anchored. At ease with themselves. Our mothers had the bravery of acts, we need the intelligence of words. “Are you married?” when one is alone, “Is he a Muslim?” when one is not. What to say without being rude nor prude?

“May God give you a husband.” That sentence. So benign for those who pronounce it. To me, it represents years of horror, hours of questioning, hundreds of break-away decisions from a suddenly stifling society, infinite moments of public humiliation. Until I had found the right answer: “Sister, I wish you would pray for God to give me a mortgage. In comparison, finding a husband is easy. I'll take care of it myself.”

Of course, that horrendous sentence has a twin in my other identity, that of the society which saw me grow up. There, I could choose a tribe: my friends, this bridge between two worlds previously described to me as irreconcilable. They showed me the path towards a Frenchness I could identify with. They also told me that many of the realities of my other identity could be found in Belarus, Argentina or Sri Lanka. I find refuge in my memory of them when I am yet again subjected to a tougher security control at the airport, or when I am still being asked where I come from, you know, originally. Maybe we should have labels, like oranges. “I am Southern...No...I meant the Languedoc.”

Often, people ask because they are genuinely curious. Not an excuse. This question is unbearable; it is grounded in oversimplification and neo-colonial preconceptions. Unintentional, but still not an excuse.

The issue of identities is far more complex than that of citizenship and origins, despite what identity myths would want us to believe. Every one of us is the product of centuries of human exchanges and movements. Places like Istanbul are living testimonies of it. My Ottoman identity has not yet been mentioned. It explains why some of my grand-mother's specialities are also Serbian ones, why there too they watch the Turkish series she loves and why they sometimes use the same words as she. Globalisation is nothing new. It was just less immediate back then. A thought to Michel Serres.

In a world where the issue of identity pushes people towards extremes, it may be good to take a break from definition, sit down and contemplate the beauty of interlaced roots.